mardi 2 juin 2015

L’Art de Marcher

Marcher, je le pratique dans des contextes très divers, marcher par nécessité ou marcher seulement pour le plaisir. J'accorde une importance grandissante à la seconde possibilité. Et je m'aperçois que, plus je marche, plus j'ai envie de marcher et plus je prends plaisir à marcher.

Ces jours derniers, j'ai participé à un stage d'initiation à l'Art de Marcher, proposé par Daniel Zanin. Cela se passait en terres cathares, autour du village ariégeois de Montségur. Dans ces premiers reliefs des Pyrénées, se trouvent nombre de sentiers, dans des paysages d'une grande variété : sommets enneigés, prairies d'altitude, forêts de hêtres ou de sapin, plateaux, crêtes, vallons et vallées...
Nous étions un groupe d'une douzaine de marcheurs, d'horizons et d'expériences diverses, mais tous désireux d'expérimenter une façon de marcher toute en douceur et en bienveillance. Je craignais au départ de me retrouver un peu "larguée", au milieu d'un groupe que j'imaginais chevronné, endurant, increvable.
Beaucoup arboraient du matériel technique, patiné des signes d'une longue utilisation : vêtements, chaussures, bâtons de marche, sac à dos, poche à eau... Un accessoire signait à mes yeux cette appartenance à la catégorie des "vrais" marcheurs, face aux amateurs dont je faisais partie : la housse de protection pour le sac à dos. Moi qui ne marche guère sous la pluie d'habitude, j'ai testé la non imperméabilité de mon sac à dos ! Ce n'était pas très grave au demeurant, je ne transportais rien qui nécessitait de rester parfaitement au sec. Et nous étions logés le soir, au chaud et au sec, dans le superbe gîte Lou Sicret.
Tous ou presque débordaient d'anecdotes à raconter sur leurs expériences de randonneurs : parcours mythiques (tour du Mont Blanc, GR 20, chemins de Compostelle), destinations lointaines (déserts d'Afrique ou d'Asie, grands sommets de l'Himalaya ou du Kilimandjaro, conditions extrêmes (orages ou canicules)... Avec mes balades essentiellement périurbaines, je me sentais un peu ridicule.
Et puis, tout cela est rapidement passé au second plan.
Même en groupe, marcher, quand on se concentre sur la marche, est une expérience individuelle, un retour sur soi. En même temps que l'on progresse, avec ses pieds, ses jambes, son corps, on chemine également à l'intérieur de soi. Il y a juste des hommes et des femmes, debout sur leurs deux pieds, qui avancent chacun sur leur propre chemin.

Marcher, c'est simple, c'est évident. On fait cela depuis tellement longtemps que l'on n'y prête plus guère attention. Et pourtant... Pour peu que l'on prenne le soin d'y porter son attention, on s'aperçoit que la simplicité n'est qu'apparente. Daniel recommande de pratiquer la marche consciente. Pour cela, il est conseillé d'abord de marcher en silence, de pratiquer le "jeûne de la parole". Même en groupe, on se retrouve ainsi en tête à tête avec soi-même.
La marche consciente, cela demande de porter toute son attention sur la simple action de marcher. Ne pas se laisser distraire par des pensées parasites. Se concentrer sur ses mouvements, sur le contact de ses pieds sur le sol. S'appliquer à chaque pas à poser  le pied en douceur. S'abandonner au bercement que procure la répétition des pas. Se libérer de toute tension, de toute crispation. Se brancher à l'écoute de ses sensations, sans chercher à les analyser. Juste sentir : l'air, la chaleur ou la fraîcheur, les sons, les odeurs, les couleurs... Tous les sens sont en éveil. 
Le regard peut se porter loin devant. Les yeux n'ont pas besoin de surveiller sans cesse les pieds. Les pieds sont capables de percevoir les changements dans la nature, la texture même, du sol, ils s'adaptent selon que ça monte ou ça descend, ils sentent si ça glisse, ils sont les points de contact qui nous relient à la Terre. Porter notre attention dans nos pieds nous aide à nous ancrer dans le sol. Un bon ancrage est un atout qui permet de franchir tous les obstacles.
Un bon ancrage prend sa source, son point d'appui, dans le ventre. Autre chose qui vient du ventre, c'est la respiration. Une vraie respiration, profonde, puissante, complète, qui remplit et vide entièrement les poumons. Une vraie respiration qui ouvre les épaules et le sternum, élargit le thorax, soulève les côtes jusque dans le dos, s'appuie sur les abdominaux et le périnée. Une vraie respiration qui s'effectue par le nez de préférence, ce qui permet à nos narines de jouer leur rôle de réchauffer l'air avant qu'il entre dans les poumons.
Ce que nous expérimentons, c'est qu'une marche bien réglée, calée sur le rythme de la respiration, permet de marcher longtemps, très longtemps, sans s'essouffler. C'est la technique de la marche afghane, synchronisée avec le souffle. J'inspire sur un certain nombre de pas, mettons trois, quatre ou cinq pas sur terrain plat. J'expire sur le même nombre de pas. Ceci est le principe de base. À partir de là, de nombreuse variantes sont possibles. Dès que ça monte, je rétrograde : deux inspirs, deux expirs. Sur le plat, je peux en plus insérer entre chaque phase d'inspiration ou d'expiration, un temps de pause. Il ne s'agit pas de bloquer la respiration, juste de la suspendre, toujours en douceur. Inspir sur trois pas, pause poumons pleins sur un pas, expir sur trois pas, pause poumons vides sur un pas, tel est le rythme de base de la marche afghane.
Pas question de passer son temps à compter, cela serait casse-pied, ou plutôt casse-tête. On laisse juste s'installer le rythme, de façon naturelle, et on vérifie de temps en temps qu'on n'a pas laissé son souffle s'échapper en même temps que les pensées s'évadent. Au début, cela demande un temps de rodage. Puis, peu à peu, cela vient tout seul, sans qu'on ait besoin de trop y réfléchir. Il est intéressant aussi de varier les rythmes. Un autre rythme recommandé par Daniel pour son effet régénérant est le suivant : quatre inspirs, deux pauses, six expirs, deux pauses. Ça recharge les batteries ! À partir de cette base, chacun expérimente, teste et choisit ce qui lui convient le mieux.

Pour moi, la marche consciente et la respiration rythmée de la marche afghane sont les deux enseignements principaux du partage d'expérience que propose Daniel. Il y a aussi bien d'autres sujets abordés pendant ces quatre jours de randonnée. Comment régler son sac à dos ? Comment nouer les lacets de ses chaussures pour éviter les doubles nœuds ? Comment utiliser le poids du sac à dos pour adopter un mouvement de balancier qui aide à progresser en montée ? Comment s'ancrer correctement dans ses pieds pour conserver son équilibre en toute circonstance ? Comment aborder les descentes en confiance et sans faire souffrir ses genoux ? Comment utiliser efficacement des bâtons de randonnée ?
Je ne me hasarderai pas à tenter de décrire tout cela avec des mots, ce serait trop fastidieux et ne pourrait en aucun cas remplacer l'expérience vécue. L'idéal, pour en savoir plus, est de participer à une randonnée proposée par Daniel, ou bien par un accompagnateur de l'École de la Marche qu'il a créée.
Mais, au bout du compte, l'essentiel reste de marcher !
Marcher simplement pour marcher, peu importe la destination, peu importe l'itinéraire, peu importe le chemin, seul compte le mouvement.
Marcher pour se faire du bien, pour se sentir vivant, pour sentir son corps et son esprit en harmonie avec le reste du monde.
Marcher comme un voyage, non seulement vers une destination, mais comme une découverte, une transformation. Le voyage extérieur, gestes et mouvements, s'accompagne d'un voyage intérieur, méditation et recueillement. Cela devient un moyen pour quelque chose d'à la fois plus vaste et plus intime.


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